Preciput et Droit de partage : Fausse Joie

Alexandre Dabin

20 janvier, 2025

Le sujet de l’exigibilité du droit de partage lors de l’exercice d’une clause de préciput fait l’objet de débats récurrents.

Par une décision très attendue en date du 16 octobre 2024 (Cass. Com., 16 octobre 2024, n° A 23-19.780), la Cour de Cassation a sursis à statuer en renvoyant le dossier pour avis à la Première chambre civile avec la question suivante :

« Le prélèvement préciputaire effectué par le conjoint survivant en application de l’article 1515 du code civil constitue-t-il une opération de partage ? ».

L’affaire a été renvoyée à l’audience de la chambre commerciale du 27 mai 2025.

L’arrêt attaqué a été rendu par la Cour d’appel de Poitiers en date du 4 juillet 2023 (cf. infra).

1 - ÉLÉMENTS DU DÉBAT

L’administration fiscale pose quatre conditions cumulatives pour l’exigibilité du droit de partage (BOI-ENR-PTG-10-10 n° 90 s.) :
• l’existence d’un acte ;
• l’existence d’une indivision entre les copartageants ;
• une indivision justifiée ;
• l’existence d’une véritable opération de partage.

En revanche, la doctrine administrative ne contient aucune indication concernant l’application du droit de partage en cas d’exercice d’une clause de préciput, qui selon l’article 1515 du code civil autorise le conjoint survivant « à prélever sur la communauté, avant tout partage... ».

2 - JURISPRUDENCE

Dans trois décisions récentes, deux excluent l’application du droit de partage et la troisième va au contraire dans le sens de l’administration fiscale.

Cour d’appel de Poitiers, 4 juillet 2023, N° 22/01034.

C’est cet arrêt qui a fait l’objet du pourvoi en cassation exposé ci-dessus.

Selon l’administration fiscale : « peu importe que le préciput, qui fonctionne comme une clause d’attribution préférentielle, s’exerce avant tout partage, puisqu’en réalité, il a les effets du partage en ce qu’il permet un transfert de propriété sur un bien qui ne composait pas le patrimoine du bénéficiaire et qui ne lui est dévolue qu’en raison du décès ouvrant les opérations de partage (...) ».

En revanche, la Cour d’appel estime que la 4ème condition fixée par la doctrine administrative, à savoir l’existence d’un véritable partage n’est pas remplie, puisque « le préciput a pour objet de permettre au conjoint survivant de prélever des biens communs avant tout partage, biens qui sont réputés lui avoir appartenu dès la dissolution de la communauté, et ce, sans que cette attribution ne s’impute sur ses droits dans le cadre d’un éventuel partage ultérieur. Les biens ainsi prélevés ne feront plus partie de la masse successorale à partager. L’exercice de la clause de préciput n’a donc qu’une fonction de prélèvement par le seul conjoint survivant et non l’allotissement entre plusieurs partageants. ». L’administration a formé un pourvoi en cassation ; la Cour de Cassation a sursis à statuer (cf. ci-dessus).

Cour d’appel de Rennes, 19 septembre 2024 n° 21/03418.

Selon l’administration fiscale, c’est en raison de sa qualité de copartageant que l’époux survivant prélève sur la masse de communauté les biens qui font l’objet du préciput. « Par ailleurs, l’époux préciputaire est en droit de se prévaloir de l’effet déclaratif du partage et, à ce titre, de se considérer comme seul et unique propriétaire du bien prélevé dès la date de dissolution de la communauté. ».

La Cour d’appel de Rennes donne raison au contribuable en reprenant les motifs de la Cour d’appel de Poitiers et ajoute : « En d’autres termes, le préciput est une restriction de la masse à partager. Par l’exercice de sa faculté, le conjoint vient réduire les biens communs, appelés à former la masse indivise. Il n’est donc pas concevable de traiter le préciput comme une attribution dans le partage. ». Elle précise également que la déclaration de succession est un acte purement fiscal et non civil. Il ne s’agit donc pas d’un acte de partage.

Cour d’appel de Grenoble, 24 septembre 2024 n°23/01411.

Cette décision va à l’encontre des précédentes.

Selon la Cour d’appel, les 4 conditions fixées par la doctrine administrative pour qu’il y ait partage sont bien remplies.

Le fait que l’article 1515 du code civil contienne la mention « avant tout partage », ne suffit pas pour exclure le préciput de la qualification d’acte de partage.

Le raisonnement repose sur une analogie avec la clause de prélèvement moyennant indemnité, définie par les articles 1511 à 1514 du code civil (qui précèdent ceux relatifs au préciput), dont la formulation est « quasiment identique » à celle du preciput et qui indiquent expressément que le prélèvement constitue une opération de partage.

Nous ne savons pas encore si cet arrêt fera l’objet d’un pourvoi en cassation.

A suivre...

(Source : Ingénierie Patrimoniale Generali Patrimoine).

Restons en contact

06 12 61 92 75

alexandredabin@gmail.com

Les articles qui pourraient vous intéresser